Le petit monstre

Samuel est un petit bonhomme âgé de 8 ans. Depuis le début de son entrée à l’école, on le surnomme affectueusement « le petit monstre ». En effet, ses trop nombreuses crises ont particulièrement contribué à l’établissement de sa réputation. Lorsqu’il se pointe le bout du nez, il ne passe jamais inaperçu. La méfiance et le stress chez ceux et celles qu’il croise sur son chemin ont généralement tendance à s’élever.

Les conflits sont au cœur de la plupart de ses relations. Les sorties de classe et les regards désapprobateurs font partis de sa routine. Trop rarement, il se sent à la hauteur des systèmes d’émulation créés par ses enseignants. De plus, il semble allergique à toutes tentatives de renforcement. C’est alors qu’on est tenté de lui trouver des punitions efficaces pour qu’il comprenne enfin comment se comporter, sans succès. À un moment, le personnel éducatif qui l’entoure est à bout de solution. En fait, il ne reste qu’une solution. Dorénavant, Samuel devra vivre avec la cote TROUBLE GRAVE DU COMPORTEMENT, une version plus officielle de « petit monstre ». Tout le monde est soulagé. Il a enfin reçu le diagnostic.

Lorsque Samuel reçoit la nouvelle, il ressent tout un mélange d’émotions. D’une part, il est, lui aussi, soulagé : « Ah enfin! Je sais ce qui cloche avec moi! Je sais maintenant pourquoi j’ai autant de difficultés à me faire des amis. Je suis un TROUBLE GRAVE DU COMPORTEMENT…».

Cependant, un arrière-goût demeure.

« TROUBLE GRAVE DU COMPORTEMENT est donc le meilleur terme pour me définir? Vraiment? Aussi simple que ça? Humm ces personnes qui ont pris cette décision, sans d’ailleurs me demander sincèrement mon avis, sont beaucoup plus expérimentées que moi. Ils doivent donc avoir raison. Alors j’accepte. Je suis officiellement un TROUBLE GRAVE DU COMPORTEMENT. Si je comprends bien, si je veux me conformer à cette étiquette, je dois régulièrement présenter des “comportements agressifs ou destructeurs de nature antisociale”. Ça adonne bien. C’est ma spécialité! »

Je vous laisse imaginer la suite…

Je comprends très bien que le système éducatif actuel exige généralement que les élèves reçoivent un diagnostic pour avoir accès à des services spécialisés. C’est un fil conducteur qui a du sens.

Je me questionne cependant sur certains effets négatifs de ces diagnostics sur ceux et celles qui les portent. Concrètement, j’ai peur que tout son entourage le regarde maintenant uniquement comme un TROUBLE GRAVE DU COMPORTEMENT. J’ai peur que Samuel s’attache à son diagnostic. J’ai peur qu’il soit de plus en plus convaincu que cette étiquette résume trop bien qui il est. J’ai peur qu’il oubli que son identité est en constante mouvance. J’ai peur qu’il oublie que son potentiel de changement est présent en tout temps, à chaque minute. J’ai peur que ce diagnostic enferme ce potentiel et cristallise ses difficultés. Et enfin, j’ai peur qu’il devienne le meilleur des petits monstres.

Bien sûr, lorsqu’un enfant vit autant de difficultés à s’adapter dans ses différents contextes de vie, le chemin pour le soutenir vers un mieux-être peut être très complexe. Selon moi, le regard que nous portons sur un enfant est le point de départ de notre relation avec lui ou elle. Et si nous élevions notre regard au-delà du visible? Au-delà des cris, des coups, des brisures, des insultes et du diagnostic. On se rappelle que derrière chaque comportement, il y a un ou plusieurs besoins à combler, il y a une fonction à comprendre.  Et si nous élevions notre regard encore plus loin, qui aurait-il? Si nous pouvions identifier l’élément qui est à la source de tous les comportements? Une sorte de force de vie continuellement présente chez tous les humains qui respirent/vibrent. Cette parcelle vibrante, ce soi-créateur, bien enfouie au fond de Samuel  et qui lui permet de créer chaque instant de sa vie. Et si ce soi-créateur ne se sentait pas assez en sécurité pour s’exprimer librement et surtout, sainement? Et si cette fibre de vie était écrasée, figée, en manque grave d’espace pour créer des nouvelles façons de s’adapter? En portant notre regard sur tous les mauvais coups de Samuel, nous alimentons ceux-ci, malgré nous. Alors que si nous élevons notre regard pour apercevoir le soi-créateur de Samuel, tout devient possible. La piste d’intervention devient plus floue, mais tellement plus vivante: Trouver des moyens pour prendre soin du soi-créateur de Samuel afin de lui redonner son état de sécurité, son espace et sa liberté. Bref, soutenir Samuel à connecter avec sa capacité infinie à créer de nouvelles façons de vivre!

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