Liberté (in)conditionnelle – épisode 1

Et si nous laissions de côté la partie sombre de notre histoire pour s’offrir la liberté d’écrire un nouveau chapitre? De la prison à la libération: portons notre regard sur une rencontre intime, d’humain à humain.

Mon téléphone sonne. À ma surprise, c’est une agente de libération conditionnelle qui m’annonce qu’un ex-détenu est intéressé à me rencontrer. C’est alors que je lui réitère mon intérêt. Elle prend le temps de m’avertir : Il y a de bonnes chances que monsieur abandonne le projet après notre première rencontre. Je réponds que ça ne me dérange pas, que ça vaut la peine d’essayer.

Une semaine plus tard, j’entre par la porte principale de la maison de transition. Je me sens à la fois fébrile, curieux et en contrôle. L’agente m’accueille chaleureusement dans son bureau. Quelques minutes plus tard, Paul (nom fictif) apparaît à son tour. L’air très sérieux, il prend place. On se serre la main avec un signe de tête. L’agente prend alors le temps de statuer le contexte. Elle rappelle à Paul que je me suis proposé pour être son parrain social du service correctionnel. Bénévole, je pourrai l’accompagner dans différentes sorties afin de faciliter son intégration dans la société. Après 10 ans à l’intérieur des murs, ça peut faire du bien de retrouver la vie citoyenne avec une personne de confiance. S’il veut aller de l’avant, Paul doit passer par une étape délicate : Il doit me faire part de ses conditions de probation. Paul sait très bien que ces informations me permettront de deviner le genre de crimes qu’il a commis. Encore une fois, je lui fais un signe de tête qui signifie «Je ne suis pas ici pour te juger.» C’est donc avec la voix légèrement tremblante et les yeux fixés sur le sol qu’il énumère rigoureusement chacune des conditions. Je prends le temps de bien les écouter, et de les accepter. Soudainement, je ressens beaucoup de respect pour cet homme qui ose assumer une partie peu glorieuse de sa vie devant un pur inconnu. À ce moment, même si Paul transpire la honte, il reste bien en place.  Il arrive à tolérer le malaise. Lorsqu’il a terminé, je le remercie de me faire confiance alors qu’il ne me connaît pas encore. Pour changer de sujet et lui permettre de respirer un peu mieux, je lui propose d’aller boire un café dans les environs. Par réflexe, il regarde son agente. Elle accepte avec un sourire en lui rappelant l’heure de son couvre-feu.

Quelques minutes plus tard, nous sommes enfin à l’extérieur. J’en profite pour savourer l’air frais alors que Paul enfile quelques cigarettes. Il me demande si ça me dérange qu’il fume. Je réponds que c’est ok. Il m’annonce qu’il connaît le meilleur café du quartier à 10 minutes à pied. Je lui réponds « Et bien allons-y! ». En marchant tranquillement dans la rue, nous parlons de tout et de rien. Pas question de demeurer en silence trop longtemps. Rapidement, nous réalisons que nous sommes deux fans des Canadiens de Montréal. C’est parfait comme sujet de discussion pour se détendre un peu. Arrivé au café, nous passons notre commande et choisissons une table près de la fenêtre pour profiter du soleil. Après une dizaine de minutes à jaser des mauvaises performances de notre équipe préférée, Paul m’annonce soudainement qu’il a une question pour moi. Le ton de sa voix se durcit instantanément. Surpris, je lui mentionne que je l’écoute. Une longue gorgée de café plus tard, il me regarde droit dans les yeux et se lance:

« Pourquoi t’es là? »

Je le regarde assidûment, en silence. 

« Pourquoi tu décides de boire un café avec un déchet comme moi qui a commis des crimes répugnants? Pis t’es même pas payé. »

Les battements de mon cœur s’accélèrent: je sais que la réponse à sa question est le test ultime. Les mots que je prononcerai ont le pouvoir d’instaurer les premières bases d’une relation de confiance. Ils ont aussi le pouvoir inverse: ce café partagé pourrait bien être le dernier.  Devant une question aussi directe et authentique, je choisis la sincérité. Juste avant de me lancer, à mon tour de prendre une longue gorgée de café, le temps d’organiser mes premières idées.

« Paul, tout d’abord, merci de poser cette question qui d’ailleurs, est tout à fait légitime. Je vais te dire précisément pourquoi je suis là. La raison principale est que j’aime rencontrer de nouveaux humains. J’ai envie d’apprendre à te connaître. Je crois profondément que la personne que tu es ne se résume pas aux crimes que tu as commis. Ces crimes font partie de ton histoire, mais ils ne totalisent pas ton histoire. Bien sûr, si tu veux me parler de ton passé, peu importe les chapitres, je suis ouvert et intéressé. Cependant, je dois t’avouer que j’ai particulièrement  envie de découvrir qui es-tu au-delà de ces crimes. J’ai envie d’explorer avec toi ce que tu aimes dans la vie, les rêves que tu aimerais réaliser, les bons (ou mauvais!) coups que tu fais de temps en temps, tes plus grandes forces. J’ai envie de rencontrer le Paul d’aujourd’hui et de demain.  Voilà ma réponse. À ton tour maintenant. Toi, pourquoi t’es là? »

Paul prend quelques secondes pour mijoter dans un silence plein. Une lueur apparaît dans son regard… puis il m’ouvre le livre de sa vie.

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  • Pierre Lalonde
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    Il y a une suite j’espère! Je veux en savoir davantage.

    Belle écriture ,

  • Diane Lamarche
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    Bien hâte d’élire ton prochain chapitre. Bravo David pour ce beau geste,
    Joyeuses fêtes!

  • Maude
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    Très bien écrit! Très fidèle à ta personne
    Hâte de lire la suite 🙂

  • Caroline 'coco' St-Jean
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    Quel beau texte, je te reconnais dans ces mots à ton grand coeur, à ton ouverture d’esprit et à ta si grande bienveillance. Continue tout ce que tu fais pour rendre demain meilleur. ❤

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